Parce que la réparation financière ne suffit pas, une démarche "restaurative" est de plus en plus souvent employée pour permettre aux victimes de pédocriminalité de se reconstruire.
"Je ne voulais pas de réparation financière au départ. Cela avait quelque chose de négatif", a témoigné Damien Maes, 65 ans, jeudi lors de la présentation à Paris du deuxième rapport annuel de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr).
"L'argent n'était pas propre, je voulais qu'il aide des enfants en grande difficulté", ajoute l'ancien chef d'entreprise qui compte transformer la réparation accordée par l'Inirr en don caritatif.
Cette instance, créée fin 2021 pour les victimes de prêtres et laïcs dans des écoles, diocèses... (donc hors congrégations), avait fin 2023 accordé une réparation financière à 489 victimes au total. Le montant moyen était de 35.310 euros l'an dernier (le maximum étant de 60.000 euros).
Si la quasi-totalité (97%) des personnes accompagnées ont demandé une réparation financière, certaines "refusent la dimension financière de la réparation", note le rapport. Et d'autres estiment qu'elle ne peut en constituer l'unique volet.
"J'ai investi l'argent dans un terrain, très beau, pour en faire un verger. Du fruit défendu, on est arrivé au fruit qu'on récolte" témoigne par vidéo Gildas Sergent, qui martèle: "Cette mémoire doit être apaisée".
Pour répondre à ce besoin, l'année 2023 "a été marquée par l'essor des démarches restauratives" qui "jouent un rôle essentiel" dans le processus de reconstruction, explique l'Inirr dans son rapport.
Contrairement à la réparation financière fixée par l'institution, ces démarches "sont choisies et décidées par la victime elle même": "C'est essentiel pour redevenir acteur de son parcours de reconstruction", explique Jean-François Badin, référent de situation à l'Inirr.
"Apaisement"
Ces démarches restauratives sont diverses: lettre de l'Eglise (25% des cas) ou dialogue avec elle (20%), ce qui est "aussi occasion pour l'Eglise de reconnaître les manquements et de prendre la mesure des conséquences que les violences peuvent avoir", selon M. Badin.
Un quart des démarches "portent sur la restauration d'un dialogue", certains souhaitant parler des agressions à leurs proches "pour la première fois, d'autres pour une ultime fois", explique-t-il.
Mais il y a aussi, dans 12% des cas, une orientation vers des réseaux médico-psycho-sociaux, notamment en unités spécialisées dans le psychotrauma.
Un processus compliqué par le manque de moyens en psychiatrie, témoigne Lorraine Angeneau, chargée de l'expertise des psychotrauma pour l'Inirr: "Les critères d'inclusion ne nous permettent pas actuellement de faire rentrer les personnes que nous accompagnons dans ces circuits de soin".
Dans les témoignages diffusés jeudi par vidéo, toutes les victimes mettent l'accent sur l'"apaisement". "Tout-à-coup, c'était du passé", raconte Francis Berthault, artiste peintre. "Je vais avoir 60 ans, je suis vivante, ils ne m'ont pas eue", ajoute Marie-Hélène Vaucheret.
Fin décembre, l'Inirr avait été saisie par 1.351 victimes au total. Une autre instance, la Commission reconnaissance et réparation (CRR), accompagne les victimes de violences sexuelles dans des congrégations catholiques.
Mais certains se montrent critiques.
"On ne sait pas comment ils fonctionnent, c'est assez lent, ça ne répond pas à l'ambition de réparation" qui ne peut advenir "dans une démarche aussi peu déterminée du côté de l'Eglise", affirme à l'AFP François Devaux, co-fondateur de l'association de victimes lyonnaises La parole libérée (aujourd'hui dissoute).
Une association "Fraternités victimes" s'est par ailleurs créée début février en partant du constat que "malheureusement, toutes les victimes ne sont pas concernées par ces instances" et en pointant "les insuffisances de nombreuses cellules d’écoute".
L'Eglise catholique continue d'être secouée par des scandales d'agressions sexuelles, avec ces dernières semaines un vicaire parisien suspendu après l'ouverture d'une enquête préliminaire et des dénonciations d'agressions et viols remontant aux années 1970 à 1990 dans l'établissement Notre-Dame-de-Betharram (Pyrénées-Atlantiques).
La Rédaction (avec AFP)